Madeleine-Jeanne Lemaire

(1845 - 1928 PARIS)

Portrait présumé de la comtesse Anna de Noailles 

Madeleine Lemaire

(Les Arcs 1845 - Paris 1928)


Caractéristiques : 

Le Portrait Moderne ou Portrait présumé d’Anna de Noailles, c. 1913-1914, huile sur sa toile d’origine


Dimensions : 

  • Sc : 180 cm x 120,3 cm
  • Ac : 203 cm x 143,5 cm


Inscriptions

Etiquette de l’encadreur Moirinat au dos du cadre : « Toiles et Couleurs fines MOIRINAT Paris
184, Fg St Honoré Paris Dorure et encadrements en tous genres »

Etiquette du layetier et emballeur André Chenu (emballage et expédition) correspondant à l’exposition L’Art et la Vie en France à la Belle Epoque rou le tableau est présenté comme ovPortrait d’une femme assise


Provenance

  • Galerie Alain Lesieutre, Paris, avant 1971.
  • Collection Bruno Roy.
  • Sotheby's, Londres, 20 juin 1989, lot 44 : Femme assise dans un fauteuil Dagobert.
  • Sotheby's, New York, 24 mai 1995, lot 366 : Woman Seated in a Dagobert Armchair.


Expositions

  • 1914 Salon de la Société Nationale des Beaux-Arts. 24e exposition (Paris), du 15 avril au 30 juin
  • 1914, n° 758 : Portrait Moderne.
  • 1971 Fondation Paul Ricard (Bendor), L’Art et la Vie en France à la Belle Epoquep, septembre - octobre 1971, n° 248 : portrait d’une femme assise.


Musées : 

Une trentaine de ses œuvres ; pastels, huiles et aquarelles ; ont été exposées, en avril-juin 2010 au musée Marmottan-Monet à Paris, dans le cadre d’une exposition consacrée aux femmes peintres au temps de Marcel Proust. Le musée de Dieppe ainsi que ceux de Mulhouse et de Toulouse possèdent quelques-unes de ses œuvres, et le musée du Louvre conserve l'aquarelle Valet de chambre portant une lettre et un Bouquet de l'ancienne collection Le Masle.


(Le fauteuil Dagobert est un siège caractéristique inspiré par le trône en bronze du roi de France Dagobert dans les années 630 après J-C. Ce siège est l'un des plus anciens spécimens conservés des sièges français.)


Notice d’œuvre :


Ce portrait est une découverte éclatante parmi l’œuvre de Madeleine Lemaire réputée pour la qualité de ses peintures de fleurs. Déjà Marcel Proust, qui fréquentait assidûment son salon dès 1892, travaillait à la postérité de son amie en affirmant qu’« elle n’a pas moins créé de paysages, d’églises, de personnages, car son extraordinaire talent s’étend à tous les genres1 » ; hommage sensible à une artiste accomplie. Notre tableau traduit précisément l’amour de Madeleine Lemaire pour son métier et l’image authentique de la société de son époque.

Ce portrait de jeune femme assise dans un fauteuil Dagobert fait partie du dernier envoi de Madeleine Lemaire au Salon de la Société Nationale des Beaux-Arts de 1914. A presque 70 ans, l’artiste participe une dernière fois au salon dont elle fut l’un des membres fondateurs, parmi tant d’autres (Société des Aquarellistes, Société des pastellistes). Elle confiera, ensuite, ses ultimes travaux aux galeristes Jean Charpentier et Georges Petit. A l’aube de la Première Guerre Mondiale, la réputation de l’artiste la précède. Elle est, encore pour quelques temps, une star du bottin artistique et mondain dont les tableaux se vendent à prix d’or. Ses réceptions attirent le tout Paris. La Comédie française joue chez elle. Issue de la haute bourgeoisie, Madeleine Lemaire travaille depuis son plus jeune âge à parfaire son talent de peintre tout en animant un salon musical et littéraire d’une portée historique considérable. Son indépendance de caractère et son exigence intellectuelle nous sont d’ailleurs parvenues à travers les traits de deux héroïnes proustiennes d’A la recherche du temps perdu : Madame de Villeparisis et Madame de Verdurin.Parmi ses succès les plus récents, elle reçoit en 1900 une médaille d’argent pour l’ensemble de son œuvre à l’Exposition universelle ; elle est élue, six ans plus tard vice- présidente du prix littéraire La Vie Heureuse qui deviendra le prix Femina. La même année, Madeleine Lemaire est nommée chevalière de la Légion d’honneur. Elle investit autant les sphères littéraires qu’artistiques.


Notre tableau est présenté sous le titre de Portrait moderne en 1914. Sa réception jouit de malchance. Le temps court de son exposition - de mi-mai à fin juin - est balayé par la déclaration de guerre de l’Allemagne à la France, le 3 août 1914, et son esthétique réaliste est rapidement déprécié au sortir de la Guerre. Toutefois, de nos jours, ce Portrait moderne perpétue les représentations mondaines de la Belle Époque.

Madeleine Lemaire présente cette jeune femme assise sur un fauteuil rappelant la forme du trône du roi Dagobert, accessoire favori du peintre que l’on reconnait dans plusieurs de ses portraits peints et aquarelles. A l’arrière, une tenture beige au motif stylisé de fleurs se confond avec la teinte du sol pour mieux faire ressortir l’éclat nacré de la peau et du satin de la robe de soirée. Le modèle incarne parfaitement la mode féminine de l’époque. Son ruban rehaussé de plumes noires rappellent les créations de la Maison Lewis, modiste chapelier, fournisseur des familles royales. Elle est habillée d’un fourreau de satin noir accompagné d’un voile blanc encadrant le décolleté. Les chaussures lacées à talons et boucles de métal sont assorties. Le travail plus libre du pinceau au sol à peine obscurcit concourt à rendre l’espace dans lequel est enchâssé la belle jeune femme. Sa pose pourtant recherchée semble spontanée. Jouant avec son sautoir de perles, la discussion est pour un temps suspendue. Apparition fugace et pourtant entêtante, désarmante de simplicité.


L’air complice du modèle envers le peintre est indéniable. Les deux femmes se connaissent et s’estiment. La sensualité du visage, son regard vert perçant et langoureux, ses narines remontées, ses lèvres ondulées, rappellent les traits de la poétesse Anna de Noailles (1876-1933). Sa silhouette menue souvent représentée une épaule dénudée, ses mains puissantes occupées par un collier de perles évoque notre jeune femme à la présence pénétrante. Anna de Noailles porte encore le deuil de sa belle-mère, décédée le 20 décembre 1913. Agée de trente-huit ans, elle est alors au fait de sa gloire. La publication, le 26 juin 1913, de son recueil de poèmes Les vivants et les morts au Mercure de France signe l’apogée de son succès. Elle porte des tenues les plus extravagantes, pose pour les peintres Jean-Louis Forain (1913, Musée Carnavalet), Ignacio Zuloaga (1913, Musée de Bilbao) et Philip de László (1913, Musée d’Orsay).


Appartenant à une famille princière roumaine du côté de son père (les Brancovan) et aristocrate grecque par sa mère (les Musurus de Constantinople), Anna a épousé le comte Mathieu de Noailles en 1897. Sa carrière littéraire débute avec la publication de son recueil de poèmes Le Coeur innombrable en 1901 qui rencontre un succès fulgurant auprès de la jeunesse. S’en suit la publication de romans (La nouvelle espérance (1903), Le visage émerveillé (1904), la Domination (1905)), de recueils de poèmes (L’Ombre des Jours (1902), Les Eblouissements (1907) et d’articles dans la presse. Anna de Noailles poursuit une activité épistolaire intense avec les plus grands intellectuels du siècle. Elle échange avec Paul Claudel, Colette, André Gide, Maurice Barrès, Pierre Loti, Frédéric Mistral, Paul Valéry, l’abbé Mugnier, Max Jacob, Georges Clemenceau, Edmond Rostand, etc...Dans son journal, en date du 20 janvier 1910, André Gide confesse qu’ « Il faudrait beaucoup se raidir pour ne pas tomber sous le charme de cette extraordinaire poétesse au cerveau bouillant et au sang froid ». Jean Cocteau, un habitué du salon de Madeleine Lemaire, est conquis. Il décrit sa grande amie dans un portrait littéraire, au combien proche de notre représentation :

Coiffée d’une aile de corbeau, catogan et boucle (qu’elle surnomme sa colonne Vendôme) descendant en spirales sur l’épaule, on croirait que ses larges prunelles sont peintes sur un bandeau masquant les yeux et qu’elle lève la tête pour regarder par-dessus. Ces yeux postiches, ces yeux immenses ruissellent à droit et à gauche du visage horizontal. Un nez puissant, un bec, des narines aux fortes encoches, propres à respirer toutes les senteurs du monde. La bouche gracieuse, aux lèvres frisées comme la rose, découvre une mâchoire de carnassier. Cette charpente, cette ossature d’animal, illustrent le mot de Jules Lemaître. « Quel insecte charmant ! le microscope dénonce un arsenal de scies, de pinces et d’antennes ».


Anna de Noailles et Madeleine Lemaire se fréquentent depuis le tournant du vingtième siècle. La volubilité d’esprit d’Anna de Noailles et ses talents d’écrivain lui ont ouvert les portes de l’élite intellectuelle parisienne qui se retrouvait dans le salon de Madeleine Lemaire surnommé « l’atelier aux roses » par leur ami commun Marcel Proust. La comédienne Madame Simone y lit d’ailleurs ses vers. Les deux femmes partagent une admiration réciproque pour Robert de Montesquiou. Madeleine Lemaire a illustré son recueil de poèmes Les Hortensias Bleus (1906). Fleurs ornementales qu’Anna de Noailles arborent en hommage sur de nombreux portraits photographiques et peints, à l’image des pompons que Madeleine Lemaire esquisse sur la tenture à l’arrière de notre Portrait moderne.

Les archives de l’Institut de France conservent la demande, datée du 16 février 1911, de Madeleine Lemaire auprès d’ Anna de Noailles, de se rencontrer afin de discuter d’un « projet » qui lui tient à coeur. Quel meilleur « projet » que son portrait pourrait-elle envisager de réaliser à ses côtés ?

Chère MadameJ’aurais à vous entretenir pendant quelques minutes d’un projet qui m’intéresse. Pourrais je vous demander d’être assez bonne pour me recevoir à une fin de journée qui est la seule heure où je suis libre. Veuillez me fixer un rendez vous vers 6 heure 1⁄2. Je suis peux être indiscrète car vous aussi vous devez avoir peu de loisirs mais que ma très sincère et grande admiration pour vous soit mon excuse.Veuillez chère Madame croire à mes meilleurs sentiments.Madeleine Lemaire 31 rue de Monceau


L’entreprise n’a pas ternie la relation qu’entretenaient les deux femmes puisque Madeleine Lemaire ne renonce pas à inviter « son amie (...) autour d’une bien modeste table de thé » pendant ou à l’issue de la Guerre, tel un « souvenir de sympathique et grande admiration ».


Fréquemment sollicitée par les peintres et les sculpteurs, Anna de Noailles ne possèdent que quelques uns de ses portraits ; avant tout destinés à œuvrer à la postérité du modèle, lorsque ceux-ci sont gracieux. Selon elle, plutôt que d’appartenir aux commanditaires, les portraits « devaient aider leur propagande et porter leur image à la connaissance de ceux qui ne pouvaient les approcher3 ». Anna de Noailles est réputée être un modèle difficile qui tient péniblement la pose. De plus, elle entretient un rapport complexe avec son image dont elle tente de contrôler la ressemblance et sa diffusion. A la demande de l’immense Auguste Rodin, Anna de Noailles pose pour lui à partir de 1905. Fort mécontente de son buste, le jugeant inachevé et son profil déformé, elle demande à Rodin « une transformation qui ne laisse pas supposer que j’ai été modèle4 », puis refuse que son nom soit associé au portrait réalisé. A l’occasion de l’achat par le Metropolitan Museum of Art (NY) de son buste en marbre en 1912 puis de l’édification du musée dédié au maître à Paris, les titres retenus sont 

Madame X (Lady Unknown) ou Minerve archaïque (Archaic Minerva). Deux ans plus tôt, elle avait jugé son portrait peint par l’américaine Romaine Brooks « complètement raté » lors de son exposition en mai 1910 chez le galeriste Paul Durand-Ruel. Au Salon de la Société Nationale des Beaux-Arts de 1914, Anna de Noailles contraint Jacques-Emile Blanche à changer la version du portrait accroché la veille, se jugeant méconnaissable et vieillie, pour une version la représentant en habit de deuil qu’elle préfère. On imagine bien le mécontentement de l’artiste d’être traité de la sorte ; lui qui vilipendait la défaveur du genre du portrait peint par « (...) ceux qui se piquent d’être modernes » dans les tribunes du journal Le Gaulois, un mois avant l’ouverture du Salon de la Nationale en avril 1914.

C’est donc un double défi que relève Madeleine Lemaire, ancienne amie devenue rivale de Jacques-Emile Blanche, à travers l’exposition de son Portrait moderne sous les traits d’Anna de Noailles. La brouille entre les deux peintres, débutée en 1893, s’est prolongée à travers leur appartenance aux deux camps opposés dans l’affaire Dreyfus. Elle perdure jusqu’en 1917, comme en témoigne le conte d’André Germain qui met en scène Jacques-Emile Blanche confronté à la médisance d’un serpent nommé Madeleine Lemaire et secouru - laissons-nous surprendre - par Anna de Noailles déguisée en fée de la forêt (Les écrits nouveaux, nov. 1917, tome 1, pp. 32-40).

Madeleine Lemaire a compris très tôt qu’Anna de Noailles - avant de recevoir les hommages publiques en devenant la première femme commandeur de la Légion d’Honneur en 1931 - était une icône de la modernité. Elle joue habillement de l’orgueil de son modèle en estompant ses « cheveux bleus comme des prunes » et en omettant sa bague de fiançailles ; l’érigeant en symbole.

Si Madeleine Lemaire ne reçoit plus depuis quatre ans rue Monceau dans le salon qui a lancé tant d’artistes, elle œuvre désormais à l’école de peinture ou l’Université des Arts, qu’elle a créée au 39 rue de la Boétie. Une présentation de ses tableaux y est décrite comme « (...) une merveille de goût, de variété, d’art ingénieux et beau » dans le Figaro (25 mai 1914). Avant de se retrancher pour mieux défendre son château de Révillon dans la Marne, Paris s’enorgueillit, pour un temps encore, de la présence de Madeleine Lemaire.

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