Charles Henry Tenré


1854 - Paris 1926


Vue du château de Versailles depuis la place d’Armes,

c. 1904

Huile sur toile, 2M15 x 2M88


Notice d’œuvre

Ces deux grands panneaux de décoration sont emblématiques de l’art d’Henry Tenré. Le peintre affectionne la peinture de paysage et les représentations des palais royaux (Versailles, Fontainebleau) qu’il expose à de nombreuses reprises au cours de sa longue carrière.

Henry Tenré effectue un solide apprentissage de la peinture. Il fréquente les ateliers de Gustave Boulanger et de Jules Lefebvre à l’Académie Julian de 1875 à 1885 puis se forme auprès du paysagiste multi médaillés Edmond Yon. Sociétaire du Salon des Artistes Français, il y expose dès 1883 et jusqu’à sa mort. Henry Tenré est réputé pour son habilité à peindre de grands paysages décoratifs, des scènes d’intérieurs à l’atmosphère intimiste (l’hôtel rue Spontini de Jacques Doucet), des représentations théâtrales et des portraits mondains (Mme la Princesse Georges de Radziwill, Mme la baronne Gustave de Rothschild, Mme H. Machiels, Mlle de Thézillat).

La grande variété de sa peinture est récompensée de son vivant. Il obtient une mention honorable pour sa participation au Salon de 1891 et une médaille de troisième classe pour sa contribution à l’Exposition universelle de 1900. Lors de cet événement majeur dans sa carrière, Henry Tenré est nommé délégué spécial de la Turquie à l’Exposition universelle de 1900. Il participe également à l’organisation d’un musée rétrospectif du mobilier et du costume au pavillon de la ville de Paris. Il prête alors de nombreux objets personnels datant du Second Empire,témoignage des liens entre la famille de son épouse et le couple impérial. Les époux Tenré offriront le portrait de leur aïeule Claire Émilie Mac Donell, vicomtesse Aguado marquise de Las Marismas, dame du palais de l’impératrice Eugénie peint par Franz Xaver Winterhalter au musée de Versailles en 1919. Henry Tenré expose à cette occasion ses peintures et ses aquarelles dans la section française des Beaux- Arts, montrant sa virtuosité à manier les différentes techniques artistiques. En récompense de sa participation exceptionnelle à l’Exposition universelle, il est nommé chevalier de la Légion d’honneur.


Henry Tenré est un artiste incontournable des multiples salons en vogue à l’époque. Il expose assidûment aux Salons de la Société des Artistes Français, à celui des Aquarellistes Français, et ponctuellement, au Salon d’Automne, à celui des Artistes Décorateurs. Plusieurs expositions personnelles lui sont consacrées à la Galerie Georges Petit à Paris. Ses œuvres sont visibles dans les expositions d’art à Bruxelles, Toulouse, Versailles, Strasbourg. Enfin, il obtient une médaille de 2e classe à l’issue du Salon de la Société des Artistes Français en 1911.

La presse lui est très largement favorable. Elle rend compte des sujets traités par le peintre et permet de mesurer la fréquence d’exposition du thème versaillais, qui occupe le peintre de 1898 à sa mort. Le critique Georges Denoinville se montre sensible à la description du château de Versailles par Henry Tenré lors de son exposition d’une vingtaine de peintures à la Galerie Georges Petit en 1898 :

C’est l’œuvre d’un délicat qui se plait à faire revivre les royales solitudes des parcs de Versailles et de Trianon et excelle à en peindre les charmilles, dans une gamme attendrie où volontiers on foule d’un pied respectueux et léger les feuilles mortes qui en tapissent le sol et en jonchent, par le vent emportées, les pièces d’eau des Suisses ou du Bassin des Nymphes, dans lesquelles se reflètent les frondaisons majestueuses ; et toutes ces jolies choses sont enveloppées d’une teinte de mélancolie qui sied à notre esprit et cadre avec nos souvenirs et d’aucuns avec leurs regrets d’antan (...).Georges Denoinville, « Block-Notes d’un critique », Journal des artistes, 24 avril 1898, p. 2258.

Henry Tenré fait du château de Versailles et de ses jardins un motif central de sa peinture comme en témoigne le triptyque qu’il expose au Salon de la Société des Artistes Français de 1909 (n° 1687). Il adapte des toiles de grand format pour mieux dépeindre l’aménagement des bassins et des allées conçu par le grand architecte André Le Nôtre au service du roi Louis XIV.


Le point culminant de cette période versaillaise reste sa contribution au tout premier Salon de la Société des Artistes Décorateurs de 1904, au Petit Palais de la ville de Paris, pour lequel il conçoit un décor de salle à manger avec quatre panneaux à l’huile intitulés Paysages de Versailles et Fontainebleau. Parmi les deux dessus de portes exposés, on retrouve comme sujet la Pièce d’eau des Suisses, à Versailles également au centre de notre grand panneau décoratif.


Henry Tenré a donc déjà traité la Pièce d’eau des Suisses dans un format réduit avant d’en faire l’élément principal de son grand panneau décoratif. Il est tout à fait envisageable que les deux présents panneaux soient les fruits d’une commande suivant l’exposition des Artistes Décorateurs pour embellir une salle à manger ou un salon d’apparat. A moins qu’il s’agisse de la décoration d’une des résidences du peintre. Il possède un luxueux hôtel particulier dans le 16e arrondissement (au 36 rue de Villejust), achète le château de Ternay-le-Fleury en 1904 (future résidence de Sacha Guitry), puis emménage en 1913 à Versailles.


Les deux tableaux décoratifs reprennent, par leur format et leur motif, une tapisserie en laine et en soie rehaussée d’or, dessinée par Charles Le Brun et tissée à la Manufacture des Gobelins, pour le roi Louis XIV. Autrefois, cette tenture décorait les intérieurs du château de Versailles et de celui de Marly. Elle se compose d’un ensemble de douze tapisseries de lice et de huit entrefenêtres de format réduit. Les vues de douze résidences royales encadrées par une architecture composée de deux colonnes et d’un pilastre se déclinent sur les douze tapisseries. A chaque château est associé un signe du zodiaque et un mois de l’année. Des guirlandes de fleurs relient les colonnes et se réunissent au centre par un médaillon qui porte le signe du zodiaque. En bas, une balustre est soit ajourée soit pleine. Toutes les tapisseries n’ont pas traversé le temps. La vue du château de Versailles prise depuis la ville, au mois d’avril, est surmontée par un entablement comprenant les armes du Roi soutenant un médaillon au signe du Taureau.


En comparaison avec la tapisserie des Mois ou des Maisons Royales, Henry Tenré prend certaines libertés. Il associe la vue du château de Versailles prise depuis la Pièce d’eau des Suisses, du côté de l’Orangerie, avec le signe du Taureau, incarnant le mois d’avril.

L’Orangerie fut construite entre 1684 et 1686 sur les plans de l’architecte Jules Hardouin- Mansart et le bassin de treize hectares fut creusé par un régiment de Gardes Suisses, entre 1679 et 1682, dans le but d’assainir le terrain destiné au Potager du roi.

Henry Tenré n’oublie pas de représenter de dos la statue équestre de Louis XIV sous les traits de Marcus Curtius (1671-1688), par les sculpteurs Le Bernin et François Girardon, alors installée depuis 1702 au sud de la Pièce d’eau des Suisses. La sculpture originale a été remplacée par une réplique et mise à l’abri à l’Orangerie du château de Versailles.Concernant le panneau au format vertical, le peintre s’inspire des tapisseries aux dimensions moins imposantes, tissées pour les espaces entre les fenêtres. Il choisit de peindre le signe de la Balance et une vue du château de Versailles vue de la place d’armes, intégrant les modifications de l’architecte Louis Le Vaux et reproduite dans le Recueil de vues de Maisons Royales de France, datée de 1674.Henry Tenré privilégie un décor moins chargé que la tenture des Mois ou des Maisons Royales qu’animent les personnages du peintre bruxellois Adam Frans van der Meulen et les animaux du Flamand Pieter Boel (1622-1674).Notre peintre préfère une balustrade ajourée recouverte d’une tenture et agrémentée d’une corbeille de fleurs à la manière de Jean- Baptiste Monnoyer (1636-1699) pour le grand panneau.Celui de taille réduite propose une nature morte de fruits sur un plateau de métal accompagné de deux aiguières de style Louis XIV.La poésie des compositions d’Henry Tenré provient du regard qu’il porte sur le patrimoine français et de la délicatesse avec laquelle il le peint.


Des tableaux de chevalet peints par Henry Tenré se trouvent de nos jours dans trois collections publiques françaises de renom (Le Carrosse du Saint-Sacrement, souvenir de théâtre au Musée d’Orsay ; Cabinet d’amateur dans l’hôtel de Jacques Doucet au musée des arts décoratifs ; Le jardin du musée Carnavalet ; effet de neige, Musée Carnavalet).

Nicolas Laurent

Jean-Pierra Lays

Virginie Sartorius